Selon un communiqué de l’Agence télégraphique suisse repris notamment par la NZZ et la RSR (et cité par strafprozess.ch) le service national de coordination de la lutte contre la criminalité sur Internet (SCOCI, rattaché à la Police judiciaire fédérale) aurait fait une demande au canton de Schwyz pour y déplacer ses activités. La motivation à ce déménagement juridique est que le nouveau Code de procédure pénal unifié  ne permettrait plus de mener comme actuellement des enquêtes préventives dans les forums de discussion sur Internet, visant notamment à lutter contre la pédophilie. Or le canton de Schwyz disposerait d’une base légale nécessaire à la poursuite de ces activités.

Plus de surveillance active sans soupçon
Tout d’abord, il faut rappeler que contrairement à ce que d’aucuns prétendent, Internet ne sera pas complètement inaccessible aux autorités policières et judiciaires en 2011. Certains moyens d’« observation » actuellement permis par les droits cantonaux seront soumis à des conditions différentes. Le nouveau code de procédure pénale (CPP) ne permet simplement plus de mener une enquête préventive et secrète sans le moindre soupçon préalable, alors que les dispositions qui entreront en vigueur dans le canton de Schwyz autoriseraient une telle procédure (art. 9a Polizeiverordnung des Kantons Schwyz).

Avant l’entrée en vigueur de la procédure unifiée, le Tribunal fédéral avait admis que soit prononcée une mesure de surveillance dans le cadre de l’instruction préliminaire. Elle devait toutefois reposer sur une base légale, et la nature et la gravité des infractions reprochées devaient être suffisantes pour justifier une telle mesure (ATF 112 Ia 18, pp 20-21).

Cette question ne se posera plus dès janvier 2011, étant donné que le Conseil national a supprimé consciemment la possibilité des investigations préalables que connaissaient certains cantons et auquel faisait pourtant référence le projet du Conseil fédéral. Dès lors que la procédure pénale exclut la possibilité d’effectuer une surveillance sans ouvrir une procédure préliminaire au sens des art. 299ss CPP, je ne pense pas qu’un canton ait la possibilité d’adopter des dispositions contraires. Une surveillance généralisée et sans soupçon des participants à une discussion sur Internet ne serait au demeurant pas conforme aux normes de droit supérieur, car pas proportionnée.

Les cantons ont certes des compétences législatives en matière de sécurité intérieure, mais l’art. 9d de l’Ordonnance schwytzoise vise un cas de procédure pénale. En vertu de la primauté du droit fédéral (art. 49 Cst), l’entrée en vigueur du CPP empêche les cantons d’adopter ou d’appliquer les règles contraires à la législation fédérale. Il n’est donc guère imaginable que le canton de Schwyz puisse permettre ce que la procédure pénale unifiée ne permet précisément pas. Ces dispositions légales cantonales ne résisteraient donc vraisemblablement pas à l’examen par un tribunal.  Et si la Police fédérale, auquel est rattachée le service national de coordination de la lutte contre la criminalité sur Internet (SCOCI) mène des activités au titre de la protection de l’Etat et de la sécurité intérieure, il devra alors agir conformément à la Loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI), et non en se basant sur une loi cantonale. (voir à ce sujet mes mes précédentes contributions consacrées à la LMSI et aux pouvoirs d’investigations des services de renseignement)

Suivre une discussion sur Internet: trois degrés
C’est également l’occasion de rappeler que pour le Tribunal fédéral, suivre une conversation de manière générale sans se concentrer sur certains participants en particulier et sans y participer, n’est pas assimilable à une activité particulière, mais compare cela à des policiers patrouillant en civil. Il considère en revanche que le fait de suivre une discussion sur un forum de discussion en ligne ou un chat en se concentrant de manière ciblée sur certains participants relève de l’observation (que le CPP prévoit aux art. 282ss). Finalement, si le policier prend part à la conversation, ce sera alors un cas d’investigation secrète (que le CPP prévoit également, mais à des conditions plus restrictives, aux art. 286ss) (ATF 134 IV 266, p. 278). On distingue donc trois degrés en fonction de l’atteinte à la sphère privée: premièrement suivre une conversation sans participer et sans se concentrer sur un participant; deuxièmement suivre principalement l’activité d’un participant, mais toujours sans participer; et troisièmement prendre une part active à la conversation.

Pour conclure, on peut retenir que la police aura toujours les moyens d’agir en 2011, y compris sur Internet, mais que la surveillance ne sera en revanche possible que dans le cadre d’une enquête pénale.

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