L’Affaire Google Street View a commencé en 2009 avec une recommandation du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) contestée par Google. Le PFPDT avait alors dû porter l’affaire devant le Tribunal administratif fédéral (TAF) contre les sociétés Google Inc. (Mountain View, USA) et Google Switzerland Sàrl (Zurich). Par arrêt du 30 mars 2011, le Tribunal administratif fédéral (TAF), avait enjoint Google de rendre l’intégralité des visages et plaques de d’immatriculation méconnaissables avant la publication des images sur Internet, au moyen d’un contrôle manuel si nécessaire. Google a recouru au Tribunal fédéral (TF) et avait même menacé de fermer le service Google Street View en Suisse (commentaire de l’arrêt du TAF).

Le Tribunal fédéral a rendu un arrêt le 31 mai 2012 (1C_230/2011, publié aux ATF 138 II 346) mettant un terme définitif à cette affaire et réussissant au passage à satisfaire les deux parties. En bref, le TF donne raison au Préposé mais admet que l’on ne peut pas exiger de Google un traitement manuel en vue d’atteindre un floutage à 100%. La Haute Cour admet une marge d’erreur de 1% si d’autres conditions strictes sont remplies.

Il ne s’agit donc pas d’une victoire claire de Google comme on cela pu être écrit puisque la majorité des arguments du Préposé ont été confirmés comme devant l’instance précédente, mais c’est néanmoins la possibilité pour Google de confirmer à offrir son service. C’est également la reconnaissance par le Tribunal fédéral que l’on ne peut pas exiger, même d’un géant de l’informatique une marge d’erreur égale à zéro mais qu’il convient plutôt de dreser une liste de conditions particulières à respecter pour réduire les conséquences que ces erreurs inévitables pourraient avoir.

Google Street View est soumis à la loi sur la protection des données

De manière logique le TF confirme l’application de la Loi fédérale sur la protection des données. Que les données soient traitées aux USA n’y change rien, car elles ont été enregistrées en Suisse, contiennent des informations sur des personnes et des lieux en Suisse et sont publiées de manière à être accessibles de Suisse. Le TF a ensuite confirmé Google Sàrl pouvait répondre devant un Tribunal des conséquences de Google Street View.

Sur le fond, Google reprend d’abord l’argument qu’elle ne traitait pas de données personnelles. Les données personnelles sont les données qui permettent d’identifier précisément une personne, soit directement avec ces données, soit en les combinant avec des informations issues du contexte ou d’autres informations. Le TAF avait admis, à bon droit dit le TF, que les données d’enregistrement brutes étaient reconnaissables et devaient être considérées comme des données personnelles. Il en est de même après le traitement automatique des données puisque la procédure a démontré qu’il existait des visages ou des plaques d’immatriculation qui n’étaient pas floutés, de même que des lieux ou des personnes reconnaissables en fonction du contexte. La notion de données personnelles doit être admise également pour les signes distinctifs des voitures, les maisons, cours et jardins, qui peuvent avoir facilement un caractère personnel. Les données étant mises gratuitement à disposition du public dans toute la Suisse, une erreur de système de Google Street View est susceptible de porter atteinte à la personnalité d’un nombre important de personnes et justifie l’intervention du Préposé.

La finalité du traitement, qui doit être reconnaissable dès la collecte des données, ne peut pas être comprise par la seule vue des caméras sur une voiture ou une annonce sur une page Internet publiée une semaine à l’avance.

Le droit à l’image

Le TF rappelle que le droit de la protection des données complète et concrétise la protection de la sphère privée découlant de la Constitution et des articles 28ss du Code civil. Le droit à l’image est le droit à l’auto-détermination qui protège contre la représentation sans droit de sa propre image. C’est le droit de chacun de décider de la diffusion de sa propre photo, en particulier dans un but économique ou politique, mais également celui de s’opposer à la diffusion de photos et vidéos qui permettent d’identifier une personne. La maîtrise de ses données personnelles est garantie par le droit à l’auto-détermination informationnelle, et cela qu’il s’agisse de données sensibles ou non.

La simple prise de photos dans la rue viole déjà le droit à l’image, car des personnes peuvent être photographiées et leur image diffusée (durablement) sur Internet sans même qu’elles en aient conscience. Les possibilités techniques actuelles (zoom par exemple) font qu’une personne apparaissant comme un élément accessoire de l’image peut également être reconnaissable. La publication à grande échelle d’images de personnes ou de véhicules dans des lieux sensibles ou dans des situations désagréables peut aussi créer une représentation négative. Une différence doit d’autre part être faite entre le simple regard que pourrait jeter un passant dans une cour ou un jardin privé et la diffusion durable d’images sur Internet.

Le floutage automatique ne suffit pas à éviter une atteinte à la personnalité

La plupart des atteintes à la personnalité peuvent être évitées par la technologie de floutage automatique des visages et plaques d’immatriculation. Une amélioration de cette technologie ne suffit toutefois pas à diminuer le risque d’atteinte d’un grand nombre de personnes vu le nombre important d’images publiées. Considérant que 20 millions d’images environ sont actuellement diffusées pour la Suisse, un taux d’erreur réduit à 0.5% représente néanmoins 100 000 images insuffisamment anonymisées. L’atteinte est renforcée par le fait que la même personne peut se retrouver sur plusieurs images et que même en cas de floutage automatique une identification demeure parfois possible (ce qui constitue donc une atteinte). Google doit donc rendre les images de visages ou numéros de plaques non-reconnaissables.

Pour le TF (comme précédemment le TAF), le fait que Google Street View soit offert gratuitement ou que des mesures de respect de la sphère privée auraient un coût supplémentaire pour l’entreprise ne peut pas être retenu comme un intérêt public ou privé prépondérant.

Le floutage manuel sur demande

La diffusion de photos de visages représente une atteinte à la personnalité, en l’absence de l’accord de la personne concernée ou d’un motif justificatif. Google doit alors donner la possibilité à chacun de demander à ce que son image soit anonymisée, ce qui permet de compenser les lacunes du système automatique. Ce système doit être facilement accessible et Google doit y donner suite rapidement, sans formalité et gratuitement. Ce droit devra être rappelé régulièrement dans les médias (au minimum tous les trois ans), de même que de futures prises de vues doivent être largement annoncées.

Protéger manuellement les lieux sensibles

En plus des mesures décrites précédemment, des mesures particulières doivent être prises à proximité des lieux sensibles : un floutage manuel est requis et il ne doit pas seulement viser le visage ou le numéro de plaques mais s’étend à tout élément reconnaissable (couleur de peau, habits, moyens auxiliaires des handicapés, etc.). Le floutage devra être fait de manière à ce qu’il ne soit pas possible d’en déduire d’informations, en particulier pourquoi et à la demande de qui il a été effectuée.

Si ce travail devait être trop difficile pour Google, le Tribunal fédéral souligne que la société a toujours la possibilité d’anonymiser entièrement les bâtiments sensibles et les environs, ce qui ne mettrait pas pour autant le contenu informatif de Google Street View en péril.

Quoiqu’il en soit un visage qui ne serait pas flouté automatiquement demeure une atteinte à la personnalité que la personne concernée peut faire valoir en justice et il en découle un intérêt important pour Google à améliorer continuellement son logiciel de floutage automatique.

Soigner l’information et respecter les espaces privés

Il faut encore ajouter le respect des espaces privés clôturés qui ne sont pas visibles par les passants (garages, cours, balcons, etc.). Google dispose d’un délai transitoire de trois ans pour retirer ces images, à moins évidement qu’une personne ne demande le retrait dans un cas particulier. A l’avenir, les images devront être prises depuis une hauteur de 2 mètres maximum (au lieu de 2.80 actuellement).

Le TF a encore confirmé l’obligation faite à Google d’annoncer dans les médias de futurs enregistrement, considérant que l’on ne pouvant pas attendre de chacun qu’il aille régulièrement consulter le site internet de Google pour savoir s’il y aurait, et cas échéant quand, des prises de vues dans sa région.

Il ressort d’une pesée d’intérêts, qu’en cas de respect strict des exigences mentionnées auparavant (floutage complet des zones sensibles, information, suppression rapide, gratuite et sans formalité en cas de demande, amélioration du logiciel, etc), un taux d’erreur inférieur à 1% est acceptable.

Moins de 1% d’erreur acceptable, si…

En conclusion, une marge d’erreur de 1% lors du floutage automatiques est admissible si les conditions suivantes sont remplies:

  • le floutage automatique doit être adapté régulièrement selon l’état de la technique ;
  • à proximité des établissements sensibles, notamment les écoles, hôpitaux, maisons de retraite, foyers d’accueil pour femmes, ainsi que les tribunaux et les prisons, une anonymisation complète des personnes et des signes distinctifs doit être effectuée avant la publication sur Internet ;
  • les images d’espaces privés (cours clôturées, jardins, etc.) qui sont à l’abri des regards des passants habituels, prises avec des appareils à plus de 2 m de hauteur ne doivent pas être publiées sur Google Street View, sauf accord des personnes concernées. Les images actuellement visibles doivent être supprimées immédiatement en cas de requête et dans tous les cas automatiquement dans les 3 ans ;
  • Google doit exécuter manuellement, efficacement et sans formalité, les demandes ultérieures d’anonymisation. Un lien clair doit figurer sur Google Street View ainsi qu’une adresse postale. Une information régulière et suffisante sur les possibilités d’opposition, doit être donnée dans les médias et sur Internet, au moins tous les 3 ans.
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