Dans un arrêt 1C_375/2024 rendu à cinq juges le 1er mai 2025, le Tribunal fédéral (TF) s’est prononcé pour la limitation du droit d’accès en cas d’évaluation par les pairs. Une professeur non promue demandait à consulter son dossier d’évaluation une fois la procédure terminée et le TF a jugé que son droit d’accéder à ses données personnelles doit être limité par l’intérêt public et privé des pairs consultés au maintien de la confidentialité tant sur le nom des experts que de leurs avis.
Contexte
A., professeure associée à l’EPFL, a déposé une demande de promotion pour accéder au statut de professeure ordinaire. Après examen, sa candidature n’a pas été soumise au Conseil des EPF et cette décision est entrée en force, ayant été confirmée par la Commission de recours interne des EPF (CRIEPF). Quelques mois plus tard, A. a fait valoir son droit d’accès au sens de l’aLPD pour consulter son dossier d’évaluation. L’EPFL lui a fourni les informations prévues par l’aLPD (origine des données, finalité, bases juridiques, catégories de données traitées, participants au fichier et destinataires) mais a refusé de communiquer les rapports d’experts externes et internes.
Dans un premier temps, la CRIEPF a admis le recours d’A. et renvoyé l’affaire à l’EPFL pour qu’elle statue à nouveau en tenant compte, d’une part, de son intérêt à accéder à son dossier et, d’autre part, de l’intérêt public à la confidentialité du système d’évaluation par les pairs («peer review»). L’EPFL a contesté cette décision devant le Tribunal administratif fédéral (TAF), qui a annulé la décision de la CRIEPF. Il a estimé que l’intérêt public à préserver la confidentialité des experts l’emportait sur l’accès intégral demandé. Il a renvoyé l’affaire à l’EPFL pour nouvelle décision conforme à ses considérants.
L’EPFL a alors autorisé A. à consulter certains documents comme les données bibliométriques, le dossier de candidature et le dossier d’enseignement complet, mais ni les rapports externes et internes, ni les avis des membres du Comité d’évaluation académique. La professeure A. a alors formé un recours en matière de droit public devant le TF, demandant l’accès complet à l’ensemble des éléments de son évaluation.
Le droit d’accès à ses données personnelles
La décision de première instance ayant été rendue avant l’entrée en vigueur de la LPD révisée, c’est l’aLPD qui continue à s’appliquer. Le résultat n’aurait toutefois pas été différent sous l’angle de la LPD actuelle.
Conformément à l’article 8 aLPD, toute personne peut demander la communication des données la concernant, sans devoir justifier d’un intérêt particulier. Le responsable du traitement doit alors communiquer toutes les données personnelles, leur origine, la finalité du traitement, la base légale, les catégories de données collectées, les participants au fichier et les destinataires.
Ce droit n’est pas absolu et l’art. 9 aLPD permet de refuser ou restreindre l’accès lorsque des intérêts prépondérants d’un tiers ou de l’intérêt public l’exigent. En principe, si l’anonymisation suffit à protéger les tiers, le droit d’accès ne peut être restreint davantage, sous peine de violer le principe de proportionnalité.
L’évaluation par les pairs
L’évaluation par les pairs est bien établie dans le milieu académique. Dans le cadre de l’EPFL, elle est prévue par un règlement de nomination (LEX 4.2.2) et par l’Ordonnance du Conseil des EPF sur le corps professoral. L’art. 10 du règlement de nomination précise que le dossier d’évaluation reste confidentiel afin de protéger les candidats et d’assurer la qualité des avis émis par les experts. Ce principe figure aussi dans l’Ordonnance du 8 décembre 2022 relative à la protection des données du personnel des EPF (OPD-EPF) qui est entrée en vigueur le 1er septembre 2023 (et ne s’applique donc pas à cette affaire).
Le TF reconnaît l’intérêt légitime de la professeure A. à accéder aux rapports, considérés comme des données personnelles, mais il estime que l’intérêt public à préserver le secret des experts lors de la procédure d’évaluation par les pairs doit l’emporter. En effet, même si les noms sont anonymisés, les informations contenues (relations professionnelles antérieures ou actuelles, domaines de compétence pointus) permettent d’identifier les rapporteurs. Une anonymisation plus poussée nuirait à la lisibilité et à l’utilité scientifique des rapports. Le principe de proportionnalité interdit donc la transmission de ces documents et justifie la limitation du droit d’accès en cas d’évaluation par les pairs.
Contrairement à l’évaluation d’articles où les noms sont confidentiels mais les avis et critiques sont communiqués dans une optique d’alimenter le débat scientifique et de faire progresser la recherche, ces finalités ne sont pas poursuivies dans le cadre d’une procédure de promotion. Le TF confirme ainsi les arguments de l’EPFL et du TAF et confirme que le maintien de la confidentialité des rapports d’évaluation des pairs doit l’emporter sur le droit d’accès de la professeure A. à ses données personnelles.
Commentaire
Cet arrêt est important non seulement parce qu’il met fin à une longue procédure, mais surtout parce qu’il reconnaît le principe de l’évaluation par les pairs et la protection de l’anonymat des experts. Sans minimiser l’importance du droit d’accès à ses données personnelles, le TF a reconnu l’intérêt privé des experts au respect de la confidentialité promise d’une part, et l’intérêt public du système d’évaluation d’autre part. Si cette confidentialité n’était pas garantie, il deviendrait très difficile, voire impossible, de trouver des experts, en particulier dans des domaines de recherche pointus où le nombre de personnes pouvant donner un avis éclairé est limité.
Par transparence, il convient encore de signaler que j’ai participé à cette procédure en qualité d’avocat de l’EPFL.