Un policier qui intervient sous un faux nom sur le web n’est pas un agent infiltré

Le policier qui se fait passer pour une jeune fille sur un forum de discussions sur Internet en se basant sur un nom de fantaisie, des mensonges, une photo et une adresse électronique ne doit pas être qualifié d’agent infiltré selon un arrêt récent du Tribunal fédéral (6B_1293/2015, ATF 143 IV 27). Une autorisation judiciaire n’est donc pas nécessaire.

Manuela_13
La police zurichoise avait participé sous le pseudonyme «manuela_13» à une discussion sur un forum de discussion (chat) du site Internet de Bluewin. Lorsque l’homme qui croyait s’entretenir avec la fille mineure lui a proposé une rencontre en vue de relations sexuelles, c’est la police qu’il a rencontrée. Le Tribunal fédéral a toutefois retenu que les preuves avaient été recueillies illégalement : toute prise de contact avec un suspect aux fins d’élucidation d’une infraction par un fonctionnaire de police qui n’est pas reconnaissable comme tel devait être qualifiée d’investigation secrète au sens de la LFIS (ATF 134 IV 266). C’était avant l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale fédéral (CPP).

Le CPP et les recherches secrètes
Le CPP est ensuite entré en vigueur et il a été complété par des dispositions sur les recherches secrètes. L’art. 285a CPP définit désormais l’investigation secrète comme le fait, pour un policier, d’infiltrer un milieu criminel pour élucider des infractions particulièrement graves, en nouant des contacts avec des individus et en instaurant avec eux une relation de confiance particulière par le biais d’actions ciblées menées sous le couvert d’une fausse identité dont il est muni dans la durée et qui est attestée par un titre (identité d’emprunt).

Les recherches secrètes sont définies à l’art. 298a CPP comme la simple faculté pour un policier de tenter d’élucider des crimes ou des délits dans le cadre d’interventions de courte durée où son identité et sa fonction ne sont pas reconnaissables. Il n’est pas muni d’une identité d’emprunt mais il peut en revanche donner de fausses indications sur son identité.

L’investigation secrète (agent infiltré) est soumise à des conditions strictes et exige notamment une autorisation judiciaire. Les recherches secrètes sont simplement de la compétence de la police ou du ministère public si elles s’étendent sur plus d’un mois. Une autorisation judiciaire n’est pas exigée.

Sabrina
Un agent de la police zurichoise se fait passer pour Sabrina, une fille de 14 ans sur un «chat». Elle est abordée par un homme de 23 ans, qui lui propose rapidement de se rencontrer en vue de relations sexuelles. Ils échangent encore leurs adresses électroniques et numéros de téléphones portables. Une rencontre est prévue à la gare, où le jeune homme découvre que Sabrina est en réalité un agent de police et se fait arrêter. Le tribunal doit trancher la question de savoir s’il s’agit de recherches secrètes et dont les preuves obtenues sont utilisables ou d’une investigation secrète, auquel cas les preuves sont inexploitables en l’absence d’autorisation judiciaire.

La distinction entre l’activité préventive de la police, indépendante d’un soupçon d’infraction et fondée sur le droit cantonal, et l’activité fondée sur le droit fédéral de procédure pénale (lorsqu’une infraction a été commise) n’est pas toujours évidente. Le CPP ne s’applique que s’il y a un soupçon qu’une infraction a été commise (ou est en train d’être commise). Dans le cas présent, c’est d’abord sous l’angle préventif et tel que prévu par la loi de police zurichoise que le policier est intervenu sur le forum de discussion. Dès lors que le jeune homme a envoyé une photo de lui nu, le soupçon de pornographie est réalisé et il ne s’agit plus de surveillance préventive mais bien d’une recherche secrète (ou éventuellement d’une investigation secrète).

Le Tribunal fédéral considère que le policier n’a pas utilisé une identité d’emprunt mais qu’il s’est contenté de simples mensonges sur son âge, sexe et lieu de résidence. Il a transmis une adresse électronique, une photo, une description et un numéro de téléphone portable (qui était attribué à la police). Il ne s’est pas appuyé sur des titres mais principalement sur des informations et noms de fantaisie. Un titre, selon la définition de l’art. 110 al. 4 CP est un écrit destiné et propre à prouver un fait ayant une portée juridique. Les contacts n’ont eu lieu que de manière virtuelle et cela n’a duré que pendant quelques jours (contre plusieurs mois en principe pour les agents infiltrés).

Avec cette décision, le Tribunal fédéral a choisi de ne pas qualifier de titre les éléments échangés (adresse électronique, photo, etc.), quand bien même il a précédemment admis un faux dans les titre pour un courriel (sans signature électronique) car l’identité de l’expéditeur était clairement reconnaissable (6B_130/2012, ATF 138 IV 209). C’est une décision assez favorable pour les forces de l’ordre. Le résultat aurait pu être différent si l’adresse utilisée était de type prenom.nom@entreprise.ch et laissait penser que la personne travaillait dans cette entreprise ou correspondait à une personne existante, ou si le numéro de téléphone avait été inscrit sous un faux nom.

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