L’investigation secrète est régie depuis le 1er janvier 2011 par les art. 286ss du Code de procédure pénale suisse (CPP) . Auparavant, cette matière était traitée par la loi fédérale du 20 juin 2003 sur l’investigation secrète (LFIS). La LFIS ne contenait pas de définition précise de l’investigation secrète mais indiquait que le but était d’infiltrer le milieu criminel par des policiers qui ne sont pas reconnaissables comme tels (appelés agents infiltrés) et de contribuer ainsi à élucider des infractions particulièrement graves. La pratique admettait alors souvent que la LFIS s’appliquait à l’infiltration d’un milieu criminel durant une certaine durée et notamment avec des documents montrant une fausse identité dans le but d’élucider des infractions particulièrement graves. Les simples recherches secrètes, soit lorsque la police agit durant une période limitée sans mentionner son identité ne respectait en revanche pas les exigences de la LFIS.
Manuela_13
Dans un arrêt du 16 juin 2008 (134 IV 266, version intégrale non publiée 6B_777/2007), le Tribunal fédéral a jugé que cette distinction n’était pas justifiée. Dans cette affaire, la police zurichoise avait participé sous le pseudonyme «manuela_13» à une discussion sur un forum de discussion (chat) du site Internet de Bluewin. Un homme de 26 ans qui croyait s’entretenir avec une fille mineure lui a proposé une rencontre en vue de relations sexuelles. L’homme en question n’a pas trouvé Manuela mais la police zurichoise au lieu de rendez-vous donné. Le Tribunal fédéral a finalement considéré que les preuves avaient été recueillies illégalement car la procédure particulière d’autorisation n’avait pas été respectée. Le Tribunal fédéral retenait que toute prise de contact avec un suspect aux fins d’élucidation d’une infraction par un fonctionnaire de police qui n’est pas reconnaissable comme tel doit être qualifiée d’investigation secrète au sens de la LFIS, indépendamment des moyens mis en œuvre pour tromper le suspect et de l’intensité de l’intervention. La participation d’agents infiltrés à des forums de discussion sur internet est ainsi une investigation secrète au sens de la LFIS.
L’initiative parlementaire Daniel Jositsch
Le CPP, bien qu’entré en vigueur au début de cette année, avait été adopté avant cette décision du Tribunal fédéral suisse et reprenait les dispositions de la LFIS.
Trois mois après cette décision, le conseiller national Daniel Jositsch a déposé une initiative parlementaire visant à modifier le CPP pour exclure du champ d’application des dispositions sur l’investigation secrète le simple fait de mentir, le fait d’adapter son apparence au milieu concerné, le simple fait de cacher son identité et le simple fait d’acheter quelque chose aux fins de l’enquête (08.458). Cette initiative parlementaire a été approuvée par la Commission des affaires juridiques du Conseil national qui a ensuite adopté l’avant-projet de loi actuellement en consultation (projet et rapport).
Le projet ajoute un art. 285a au CPP intitulé définition : « L’investigation secrète consiste, pour les membres d’un corps de police ou des personnes engagées à titre provisoire pour accomplir des tâches de police, à infiltrer un milieu criminel pour élucider des infractions particulièrement graves, en nouant des contacts avec des individus et en instaurant avec eux une relation de confiance particulière par le biais d’actions ciblées menées sous le couvert d’une fausse identité dont ils sont munis dans la durée et qui est attestée par un titre (identité d’emprunt). »
Le but est de séparer clairement les recherches secrètes de l’investigation secrète (à laquelle s’appliqueraient les dispositions actuelles comme des conditions d’applications strictes et l’exigence d’une autorisation judiciaire). Les recherches secrètes ne nécessiteraient jamais l’autorisation d’un tribunal. Si elles s’étendent sur plus d’un mois, elles devraient seulement être acceptées par le ministère public. Aucun recours à ce stade n’est prévu.
Les recherches secrètes sont définies comme la faculté pour les membres d’un corps de police de tenter d’élucider des crimes ou des délits dans le cadre d’interventions de courte durée où leur identité et leur fonction ne sont pas reconnaissables, notamment en concluant des transactions fictives ou en donnant l’illusion de vouloir conclure de telles transactions. Les agents affectés aux recherches secrètes ne seraient pas munis d’une identité d’emprunt (art. 298a). Ils peuvent en revanche donner de fausses indications sur leur identité.
Commentaire
Ces recherches secrètes ne sont possibles que si un crime ou un délit a été commis. Elles ne peuvent pas avoir lieu avant l’ouverture d’une procédure pénale et ne servent par exemple pas à donner la possibilité aux agents de police de se faire passer pour une autre personne sur les forums de discussion sur Internet ou de procéder à des achats test d’alcool dans les magasins dans le but d’aller à la chasse à d’éventuelles infractions futures. En ce sens elles ne comblent pas le vide juridique en matière de prévention de certaines formes de criminalité (dont nous avions déjà parlé).
Les dispositions proposées permettraient tout de même à la police d’utiliser de fausses identités et donner de fausses informations à ce sujet pour une période allant jusqu’à un mois sans qu’une autorité de contrôle ne se prononce. Le risque n’est pas négligeable non plus que ces actes d’enquête soient engagés à titre préventif au lieu de répressif, ce qui justifierait également un contrôle judiciaire.
Les dispositions proposées ne me convainquent pas vraiment. Il serait préférable de conserver les dispositions actuelles et légiférer en matière de surveillance préventive si le but est de se donner des moyens supplémentaires. Si le but est en revanche seulement d’éviter la procédure d’autorisation judiciaire pour les recherches secrètes, cela ne me semble pas être une bonne solution. Le risque d’utilisation à titre préventif et le fait que l’autorité policière trompe le prévenu justifie à mes yeux un contrôle judiciaire. Le prévenu sera d’ailleurs souvent dans une situation où l’usage voudra que le policier ayant recours à une fausse identité ne lui présente pas une carte d’identité (ce qui en ferait un cas d’investigation secrète). Pour le prévenu, la distinction entre investigation secrète et recherches secrètes ne joue aucun rôle et ne justifie pas de laisser à la police seul le pouvoir d’autoriser ces mesures.