Si Google Suggest a déjà fait l’objet de plusieurs décisions (et condamnations) en France notamment, la seule décision publiée en Suisse arrive à un résultat contraire et plutôt surprenant. La Cour civile du tribunal cantonal jurassien s’est prononcée l’année dernière dans le cadre de mesures provisoires et a rejeté toute atteinte aux droits de la personnalité (art. 28ss Code Civile) ou dénigrement (art. 3 Loi contre la concurrence déloyale) (CC 117/2010). Vu les arguments retenus dans cette décision, il y a toutefois assez peu de chance qu’elle ne fasse jurisprudence et soit suivie par d’autres tribunaux.
Albert Tanneur Institut (nom fictif choisi par le tribunal…) reproche au moteur de recherche Google de suggérer à la suite de son nom le mot « scam » (que l’on peut traduire par escroquerie ou arnaque) lors d’une recherche et de porter ainsi atteinte à sa réputation.
Google Suisse sàrl n’exploite pas de moteur de recherche
Le juge de première instance a d’abord écarté de la procédure Google Suisse sàrl, considérant qu’elle n’exploitait pas le moteur de recherche, et que seule la société américaine Google Inc. pouvait répondre devant un tribunal. Ce raisonnement est assez peu convaincant et surtout s’écarte de précédentes décisions, et en particulier celle rendue par le Tribunal administratif fédéral dans l’affaire Google Street View (où Google Suisse sàrl avait été considérée comme une succursale représentant Google Inc. en Suisse).
La Cour civile a ensuite admis l’application du droit suisse et la possibilité pour le plaignant d’agir au lieu de l’atteinte, en l’occurrence son domicile suisse. Il aurait paru choquant que la victime doivent agir aux USA, alors qu’elle réside en Suisse et se plaint d’une atteinte parue sur les sites google.ch et google.com, qui visent clairement le marché suisse. Ce point-là ne porte pas le flanc à la critique.
La liberté d’information avant tout
La Cour ensuite souligne l’importance de la liberté d’information et applique un degré de responsabilité inférieur pour le moteur de recherche estimant qu’il «n’est pas possible de faire supporter au fournisseur d’accès la même responsabilité que celle qui repose sur l’éditeur d’un média traditionnel, sous peine de rendre tout accès à Internet considérablement plus onéreux, voire purement et simplement impossible». S’il est étonnant que la Cour assimile un moteur de recherche à un fournisseur d’accès, il est encore plus étonnant que la Cour arrive finalement à la conclusion que «dans l’hypothèse où la personne victime de l’atteinte signale au fournisseur l’existence d’une suggestion qui porte atteinte à sa personnalité, celui-ci ne doit pas intervenir pour éliminer cette référence, (…) sous peine d’arriver à une forme de censure. En effet, cela ferait reposer sur le gestionnaire d’un site de recherche une obligation disproportionnée et qui limiterait de manière inadmissible le droit à l’information.»
C’est pourtant ce que la jurisprudence exige habituellement d’un fournisseur d’hébergement. Le raisonnement peut d’autant moins être suivi que la suppression d’une suggestion n’empêche ni l’apparition dans les résultats du moteur de recherche, ni l’accès à la page en question. La liberté d’information ne serait donc pas remise en cause, mais seulement la liberté d’un moteur de recherche de suggérer des recherches qu’il considère comme plus pertinentes que d’autres.
Finalement la Cour n’a pas contesté que l’association du nom du plaignant et le mot scam porte atteinte à l’image et à la réputation d’une société de manière abstraite, mais « l’internaute moyen comprend (…) que les résultats ne sont que des propositions de recherche et non une affirmation de l’intimée selon laquelle l’appelante se serait rendue coupable d’arnaque par le passé. » Cette analyse diffère également des décisions rendues dans d’autres pays.
Une décision surprenante
On peut difficilement partager l’idée d’une part que Google Suisse n’a aucun lien avec le moteur de recherche, et d’autre part que Google Suggest soit entièrement automatisé et que l’internaute moyen ne déduit pas des suggestions de recherche un probabilité plus élevée de résultat. Quant à l’argument tiré de la liberté d’information, il part d’une bonne intention mais Google ici est un fournisseur de contenu sur son site et ne devrait, au moins, pas être traité différemment d’un fournisseur d’hébergement.
Peu de temps après la publication de la décision, l’association litigieuse a disparu des suggestions de recherche sur les sites www.google.com et www.google.ch. Quant à savoir si c’est un pur hasard ou si Google a volontairement retiré ces éléments pour éviter que la procédure ne se poursuive et arrive à un un résultat moins favorable, la question reste ouverte!
De mon point de vue (donc sans aucune prétention juridique ou légale), Google peut difficilement être assimilé à un fournisseur de contenu (sur son moteur de recherche du moins, je ne parle pas là de Google Maps ou d’autres services).
Il fournit des liens vers du contenu dont il n’est pas le créateur. Donc plutôt un fournisseur d’information sur du contenu ou d’accès à du contenu…
certes, mais il a tout de même un maîtrise « relative » sur la publication sur son site du contenu qui n’est pas le sien, comme l’a un hébergeur et peut techniquement supprimer un contenu illicite.
quant aux suggestions, d’une certaine manière google en est le créateur, même si c’est un algorithme qui y procède.
Dass die Firma Google ihre Suchmaschinen nicht in der Schweiz betreibt, dürfte imho kein Grund sein, ihre hiesige Niederlassung nicht als einklagbaren Firmensitz zu betrachten.
Incroyable décision en effet. Un peu naïf de dire que l’internaute moyen comprend que ce n’est qu’une suggestion. En effet, combien de fois n’a-t-on pas entendu dire, quand on discute avec l’homme de la rue, « c’est vrai, c’est passé à la TV! »?
CRAZY!